Manger est vital mais surtout, cela nous définit. En plus d’être vital, selon Claude
Fischler, il n’y a rien de plus intime que de manger étant donné que « ce que nous mangeons
devient nous-même ». L’acte de manger a un impact sur ce que l’on est, selon notre moral,
notre éthique et notre style de vie. C’est ce qu’exprime Jean Anthelme Brillat Savarin à travers
sa célèbre phrase : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es », tirée de son ouvrage
« La physiologie du goût » datant de 1825.
En 2020, manger c’est participer à un système alimentaire industrialisé, mondialisé et
standardisé. L’industrie alimentaire est la seconde industrie la plus polluante du monde. Pour
répondre à ces problématiques, ce système doit se diriger vers un développement plus durable,
c’est-à-dire économiquement viable, respectueux de l’environnement, socialement acceptable
et équitable. La restauration fait partie intégrante de l’industrie de l’alimentation et elle doit,
elle aussi, évoluer dans ce sens. Partout dans le monde et à tous les niveaux, des restaurateurs
se mettent petit à petit « au vert ». Ceux-ci prennent conscience de leur rôle de nourrisseur, de
passeur et d’acteur socio-économique de leur territoire. Une nouvelle génération de chefs.fes
ouvrent des restaurants et ils.elles prennent un soin particulier à choisir leurs produits : la
matière première de leur travail. L’essentiel pour ces restaurateurs est de choisir des produits
issus d’une production durable, de saison et surtout locale, « locale » au sens de « proche ». Le
circuit court de proximité est donc le moyen que certains restaurateurs ont choisi pour
s’approvisionner. A travers ce mémoire, j’ai choisi de m’intéresser à cette relation de circuit
court de proximité qui lie les restaurateurs à leurs producteurs, sous le prisme des restaurants
implantés au Pays Basque. Comme je l’ai écrit ci-dessus, le monde de la restauration est en ébullition. Cette
obsession du bon n’est pas nouvelle, ni exclusivement réservée à cette nouvelle génération. Les chefs à la tête de restaurants gastronomiques, comme Pierre Gagnaire, Olivier Roellinger ou encore Alain Passard, sont également attentifs à la problématique de la qualité et de la traçabilité du produit et cela depuis des décennies. Cependant leur cuisine gastronomique n’est pas accessible à toutes les bourses. Aujourd’hui, l’objectif de beaucoup de chefs.fes est de rendre accessible une nourriture de qualité. Ils ne souhaitent pas faire une nourriture d’exception, à
destination d’une population de niche qui, de fait, priverait le reste de la population. L’objectif est de rendre le bon accessible, même si les additions sont encore élevées par rapport au ticket moyen des français au restaurant. Cette tendance à l’accessibilité est également présente au Pays Basque. J’ai rencontré plusieurs restaurateurs qui travaillent dans ce sens. Dans cette région, la restauration et l’agriculture sont omniprésentes, et le circuit court y est une tradition.
Pourquoi le Pays Basque ?
J’ai choisi le Pays Basque comme terrain de recherche parce que j’y ai senti une dynamique
particulière. C’est ici que j’ai eu un « déclic », au restaurant Eléments d’Anthony Orjollet. Je
m’y suis rendue pour le première fois l’été 2018, accompagnée de mes parents, pour fêter mon
admission au Master d’Alimentation et de Cultures Alimentaires à l’Institut Géographique de
Paris-Sorbonne. Ce master m’a permis de développer mes connaissances et ma passion pour le
monde de l’alimentation.
Cet été-là, j’ai compris ce que signifiait le « respect de l’animal ». Pour ma première visite, j’ai
commandé le canard entier qui était à la carte. J’ai mangé le magret, le cou, la tête, la langue,
les reins et le cœur. Cette expérience m’a marqué, non à cause du contenu de mon assiette, mais
pour ce qu’elle représentait. C’était la première fois que j’avais la sensation de manger durable.
La cuisine durable est alors devenue une notion qui a attiré ma curiosité. Elle intègre la
pluridisciplinarité et, en tant que géographe, j’apprécie particulièrement.
À partir de cette expérience, les deux dernières années où je me suis rendue à nouveau au Pays
Basque, j’ai parlé avec les restaurateurs chez qui je me rendais. J’ai compris que cette sensation
particulière découlait de la relation unique qu’ils liaient avec leurs producteurs, une relation basée sur la confiance et le respect. Ce respect, au Pays Basque, on le retrouve dans la population vis-à-vis de ses paysans et des paysans pour leurs terres.
C’est également pour la richesse de ses produits que le Pays Basque m’a intéressé. Cette région,
si petite soit-elle, est l’une des plus riches de France, en denrées alimentaires. La mer et la terre
se font face et bouillonnent de produits divers. C’est cette situation géographique qui rend le
Pays Basque si riche en paysages et en produits alimentaires : toujours entre terre et mer.
Le Pays Basque : un territoire diversifié
Administrativement le Pays Basque (Carte 1) fait partie de la région Nouvelle-Aquitaine
et du département 64 des Pyrénées-Atlantiques. Ce département est coupé en deux territoires
distincts : le Pays Basque et le Béarn. Historiquement, ce territoire basque est lui-même découpé
en 3 régions : la Basse-Navarre, le Labourd et la Soule. Pendant longtemps, le Pays Basque
n’était rien administrativement alors qu’il a toujours représenté une nation pour ses habitants10
.
La création d’un groupe administratif basque est une vieille revendication11. Le Pays Basque
s’est uni officiellement le 1er janvier 201712 via une intercommunalité de 158 communes. Avec
plus de 300 000 habitants, l’Euskal Hirigune Elkargoa (Communauté d’agglomération du Pays
Basque en basque) est la 5ème intercommunalité la plus peuplée de France. Sa superficie de 2
967km2 en fait la plus grande du pays13. Ce territoire est marqué par la dynamique agricole qui
façonne son paysage. Cette dynamique agricole est motivée par la situation historique et
géographique de la région. En plus de l’agriculture, le Pays Basque est une terre où le tourisme
est très présent.
Il est important de préciser que je travaille uniquement sur le Pays Basque nord. Car l’Euskal
Herria (Pays Basque en basque) ne fait pas de distinction de nationalité entre le Pays Basque
nord (Iparralde en basque) et le Pays Basque sud (Hegoalde en basque), ce qui, d’un point de
vue administratif, correspond à la frontière entre la France et l’Espagne. Le pays Basque nord
correspond à 15% du territoire et 10% de la population globale de l’Euskal Herria. Je n’ai donc
étudié qu’une petite partie de ce grand territoire de 20 664m2 peuplé de plus de 3 millions
d’habitants. J’ai fait ce choix pour des raisons pratiques, de connaissance du territoire, de langue
et de données.
L’approvisionnement en circuit court de proximité entre les restaurateurs et les producteurs
L’idée de mon mémoire est d’analyser l’approvisionnement des restaurateurs engagés
dans le local et d’observer la relation qu’ils instaurent avec leurs producteurs. C’est autour de
la notion centrale de circuit court de proximité que l’approvisionnement et la relation sociale
va pouvoir se développer.
Le principe de circuit court est défini par Yuna Chiffoleau de la façon suivante : « Un mode de
commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur
au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul
intermédiaire ». Cette définition paraît simple mais le concept de circuit court est complexe
étant donné qu’il a de nombreuses applications. Le circuit court est entré dans le débat public,
sur différents domaines, mais surtout dans celui de l’alimentation. Il est principalement connu
par les consommateurs via les AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture
Paysanne), ou bien la vente directe au marché ou à la ferme. Les paysans qui travaillent en
circuit court entretiennent des relations professionnelles, commerciales et amicales avec leurs
clients. Les producteurs tissent les mêmes liens avec les restaurateurs, car ils font partie de leur
« monde des circuits courts », c’est-à-dire leur réseau. Au-delà de la relation de circuit court
et surtout de la relocalisation de ces réseaux, il y a la notion de circuit de proximité.
L’objet de ce mémoire est donc de proposer un cadre théorique de l’approvisionnement
en circuit court de proximité entre les restaurateurs et les producteurs, en s’appuyant sur
l’exemple de quelques restaurateurs basques. L’état de l’art sur les « circuits courts », les « circuits de proximité » et la « gastronomie durable », permettent de construire le concept de
« circuit de proximité dans la restauration durable » ; un concept encore peu développé auprès
des chercheurs. Ce sujet m’a amené à me poser de multiples questions. Cependant, une
problématique principale s’en est dégagée : la relation de circuit court de proximité entre
restaurateur et producteur est-elle privilégiée au Pays Basque ?
Je présenterai en première partie les grands enjeux de la restauration liés au système
alimentaire en place. L’objectif étant de comprendre pourquoi un changement est indispensable
dans notre façon de consommer et de produire. Par la suite, nous allons découvrir la force et la
diversité du patrimoine agricole du Pays Basque. Des particularités qui font de cette région un
espace privilégié pour le développement de l’approvisionnement local des restaurateurs
basques. Puis nous décrirons pourquoi le terroir attire de moins en moins les restaurateurs, au
profit de la « proximité » qui est devenu un signe de qualité.
La deuxième partie a vocation à définir et présenter le concept d’approvisionnement de
circuit court de proximité entre les restaurateurs et leurs producteurs, grâce à une typologie. Je
dresserai ensuite, grâce aux informations collectées dans mes entretiens (annexe 1 à 7) les points
positifs et négatifs qui résultent de ce type d’approvisionnement. Puis je développerai la
méthodologie de la sélection des restaurateurs que j’ai choisi pour faire partie de mon étude.
Ensuite, j’exposerai les résultats de mon questionnaire (annexe 8), résultats qui m’ont permis
d’obtenir la localisation des restaurants et de leurs producteurs locaux. Des données, grâce
auxquelles, j’ai pu établir et observer la zone d’approvisionnement de produits issus de circuit
court.
Au fil de la troisième et dernière partie, je mettrai en avant le sujet de la « restauration durable ».
Je proposerai une définition et une typologie. Ensuite, à l’aide des résultats de mon
questionnaire, ce sera l’occasion d’établir le profil type des restaurateurs que j’ai sélectionnés,
de leur restaurant et de leur carte. Cela sera aussi l’occasion de mettre en avant la carte qui est
en fait l’expression de la relation entre restaurateur et producteur, mais au profit du
consommateur. Puis je mettrai en avant la nouvelle génération de restaurateurs qui prône la
cuisine de « terroir locale ».
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